Tu es mon fils bien-aimé
„Tu es mon fils bien-aimé, ma fille bien-aimée“
Les paroles suivantes ont été prononcées, lors de la fête d’inauguration de la maison de recollection à Münsterschwarzacher, près de Würzburg par Henri Nouwen (prêtre de l’Arche à Toronto, conférencier et écrivain, décédé en 1996)
Je veux dire quelques pensées essentielles en parlant de choses simples mais fondamentales.
J’expérimente la guérison de mes blessures, lorsque j’écoute la voix de Dieu dans mon cœur, cette voix qui me dit : « Tu es mon fils bien-aimé, tu es ma fille bien-aimée. Tu es entièrement aimé de Dieu. » Cette vérité, je suis appelé à la croire de mon être entier. C’est la vérité fondamentale de ma vie. Si je crois en ce premier amour de Dieu, alors je peux me réconcilier avec ce second amour, qui lui n’est pas parfait, ce second amour, dont mes parents m’aiment, dont m’aiment mes éducateurs, l’Eglise. Oui, l’Eglise m’aime, mais je ne suis pas satisfait de cet amour, il pourrait être mieux. Mais si je suis certain de ce premier amour et si je me le rappelle, alors je peux vivre avec cette imperfection du second amour.
Une question fondamentale : Comment et à quoi reconnaître que nous vivons de ce premier amour, que nous vivons en tant que fils et filles bien-aimés de Dieu ? La structure fondamentale d’une telle vie est celle qui se reflète à l’autel, dans ce que Jésus a fait lors de la Dernière Cène et ce qu’il fait à chaque fois lors de l’eucharistie : il prit, il bénit, il rompit et il donna. Nous sommes, dans notre amour, pris, bénis, rompus et donnés.
Nous sommes pris, nous sommes élus. Je suis important en tant que personne, je suis élu de la part de Dieu. Si Dieu me choisit, alors cela ne veut pas dire que les autres ne sont pas choisis. Si je me reçois comme élu, alors je peux transmettre aux autres qu’ils sont eux aussi choisis, qu’ils sont importants, qu’ils sont pris aux sérieux, des personnes dont on a besoin, que quelqu’un les aime, que quelqu’un les attend, qu’ils portent dans leur être un message unique. Beaucoup de personnes ne font pas cette expérience, mais elles se sentent plutôt rejetées, injuriées. Elles ne peuvent pas croire en cet amour et en faire l’expérience.
Jésus bénit, nous sommes bénis, benedicti, et nous sommes appelés à bénir, benedicere. Nous sommes appelés à dire du bon de nous et l’un de l’autre. Nous devons dire le bon de notre vie. Nous devons nous dire l’un l’autre que nous sommes des fils et filles bien-aimés de Dieu. Nous devons nous bénir l’un l’autre et devenir aussi une bénédiction l’un pour l’autre. Lorsque des personnes handicapées me demandent de les bénir, alors elles ne se contentent pas d’un signe de croix sur leur front. Mais je les prends dans les bras et j’approche leur visage. Ensuite je leur dis : Tu es bon, tu es fils, filles bien-aimé(e) de Dieu. Il est bon que tu sois là. Tu es unique. Et ensuite il y en a dix autres qui viennent et demandent la bénédiction. Et ensuite viennent aussi des accompagnateurs qui demandent eux aussi la bénédiction. Tous veulent entendre qu’ils sont enfants bien-aimés de Dieu. La bénédiction est une manière concrète pour exprimer l’amour que nous avons reçu de Dieu. Puisque Dieu nous bénit constamment, parce qu’il dit du bien sur nous, nous devenons nous-mêmes capables de bénir les autres, de leur faire partager l’amour qui nous vient de Dieu.
Jésus a rompu, il a été rompu / brisé sur la croix. La blessure, la rupture (Gebrochenheit= le fait d’être rompu) appartient essentiellement à l’humanité. Nous sommes brisés, blessés. Notamment les personnes qui nous sont proches nous blessent, nous font mal. Nous sommes brisés par eux. Mais nous ne devons pas arrêter de les bénir. Celui qui s’expérimente comme injurié, celui-là ne peut pas accepter ses blessures, elles vont le briser. Nous devons bénir notre blessure, dire du bon d’elle. Elle nous caractérise. C’est à travers elle que Dieu nous touche, à travers elle Dieu me mène vers une façon plus intime d’amour.
Dans la pastorale, nous devons aider l’autre à accepter sa blessure, à se réconcilier avec elle. Mais pour y arriver, nous devons accepter nos propres blessures, regarder notre blessure et la porter devant Dieu. Ma blessure est une part de moi. Ma souffrance est une chose très personnelle, une chose intime ; c’est en elle que je me sens. La souffrance que je ressens, n’est ressentie par aucune autre personne. C’est là que je ressens mon individualité. Et la blessure est le lieu où je sens Dieu, où je suis ouvert (rompu ; aufgebrochen werden) à l’esprit de Dieu, à son amour. La souffrance est un chemin très important pour devenir sensible à Dieu, sensible pour mon être intérieur. C’est de cette manière que je saurai sentir les blessures de l’autre et à travers cela être en communion avec lui. Nous sommes tous des êtres blessés, rompus. Notre blessure nous mène vers Dieu et vers l’autre. Elle est le signe que nous pouvons expérimenter l’amour de Dieu pour nous.
Jésus a donné, il donna le pain, il se donna, il se donna pour nous. Donner est un signe de l’amour. Nous devons nous donner. Lorsque nous nous offrons, lorsque nous nous donnons, alors nous ne devenons pas plus pauvres, mais plus riches. Nous pouvons nous donner parce que Jésus s’est donné pour nous et parce qu’il continue à se donner. Le fait de donner peut guérir nos blessures ; il les ouvre, pour qu’elles deviennent une source d’amour pour les autres. Nous ne donnons pas notre plénitude, nous donnons du pain rompu, nous donnons notre propre blessure, notre petitesse. Mais si nous nous donnons dans ce don, nous devenons du pain pour les autres. Nous donnons et nous sommes aussi donnés, par Dieu lui-même l’un à l’autre, pour vivre en communion l’un avec l’autre l’amour de Dieu. Nous partageons le pain rompu, nous partageons la vie, nous partageons nos blessures. Nous vivons de l’eucharistie, modèle de notre vie. Prendre, bénir, rompre et donner est la dynamique de l’amour et de toute vie humaine….